Nous rencontrons souvent, dans l’évangile, et même dans toute l’Écriture sainte, des mots qui nous surprennent. Le nom de la fête de ce jour, par exemple : la Pentecôte, a quelque chose de mystérieux, même si nous en connaissons le sens puisqu’il s’agit de la commémoration de la descente du Saint-Esprit sur les disciples de Jésus, dix jours après l’Ascension, et qui marque le début de l’activité évangélisatrice de l’Église.
Mais c’est sur un autre mot que je voudrais attirer votre attention ce dimanche, un mot qui m’a moi-même longtemps intrigué : celui de Paraclet. C’est avec ce terme, en effet, que Jésus désigne l’Esprit-Saint dans le passage de l’évangile que nous venons de lire, et nous renseigner sur l’origine de ce mot pourra nous aider à discerner quelque chose à propos de l’Esprit-Saint, sur ce qu’il est, sur qui il est.
Le mot Paraclet est tiré du grec : le verbe κλείω, qui signifie appeler, convier, inviter, voir convoquer ; et le préfixe παρά, qui signifie auprès de. Le Paraclet, c’est celui qui est invoqué, appelé auprès de nous, et c’est la même origine, latine cette fois, qui a donné le mot « avocat » : ad-vocatus. L’avocat, en effet, c’est celui que l’on appelle près de soi pour nous défendre dans un débat ou un conflit.
Et l’évangile de ce jour évoque, en effet, un conflit : celui du Christ avec le diable, le prince de ce monde, dont il est question à la fin du passage que nous avons lu. Le texte de saint Jean, en effet, prend place le Jeudi saint, lorsque Jésus s’apprête à quitter le cénacle, où il a célébré la dernière Cène, et qu’il va prendre sur lui tous les péchés du monde, pour notre Rédemption. Toutefois, quoiqu’il a réellement lutté, le Christ est entré dans la bataille suprême en vainqueur : son ennemi, le diable, n’ayant aucun droit sur lui, puisque Jésus était exempt de tout péché, c’est ce qu’il dit à la fin du passage de ce jour.
Cela n’est cependant pas notre cas, chers amis. Dans la bataille que nous avons nous-mêmes à mener contre le diable, contre le monde et contre leurs tentations, nous ne partons pas gagnants d’avance. Nos péchés, en effet, ont comme donné au diable un droit sur nous ; droit qui a toutefois été racheté par le sang du Christ, répandu pour nous et pour la multitude en rémission des péchés, mais encore nous faut-il faire valoir ce rachat, faire valoir notre liberté retrouvée contre celui qui réclame notre esclavage ; c’est tout l’enjeu du combat spirituel et c’est pourquoi nous avons besoin d’un avocat, nous avons besoin du Paraclet, nous avons besoin du Saint-Esprit.
Le rôle de l’avocat n’est pas seulement de faire valoir les intérêts de son client, mais aussi de lui expliquer la loi et le conseiller. « Si quelqu’un m’aime, dit Jésus, il gardera ma parole. L’Esprit-Saint vous enseignera toutes choses et vous rappellera tout ce que je vous ai dit ». Voilà la loi qu’il nous faut observer : c’est la loi évangélique, la loi de la charité. « Quel est le plus grand des commandements ? », avait-on un jour demandé à Jésus. « C’est d’aimer Dieu par-dessus tout, et les autres comme soi-même », avait-il répondu. « Voyez comme ils s’aiment », disait Tertullien au sujet des chrétiens ; c’est à l’amour que nous aurons les uns pour les autres que nous serons reconnus comme chrétiens, d’une part, mais aussi que, d’autre part, nous échapperons à l’emprise du diable. Car la charité couvre une multitude de péchés. En la pratiquant, en demeurant dans l’amour, nous demeurons dans le Christ et lui demeure en nous. Et ce faisant, nous rejetons la puissance du diable.
Car le fruit des œuvres du diable, c’est la division. Le fruit de la charité, au contraire, c’est l’unité. C’est pourquoi Jésus, qui nous a aimé jusqu’au bout, s’est offert pour que tous soient un. Dans les épreuves, dans les tentations, dans les combats que nous avons à mener, nous pouvons être tentés par la division, par la séparation. C’est ce qui survient lorsque notre égoïsme veut faire passer nos désirs immédiats avant toute autre chose. Alors nous vivons selon les inclinations propres de notre sensibilité ou de notre orgueil, et c’est ainsi que nous tombons dans le péché. La charité, au contraire, nous ancre en Dieu et nous fait nous oublier nous-mêmes.
Or, c’est précisément cette charité qui nous est donnée par l’Esprit saint, qui vient, comme nous l’avons chanté dans la magnifique séquence de cette messe, éclairer nos esprits, laver ce qui est souillé par le mal, arroser ce qui a été desséché par notre avarice, guérir la blessure de nos faiblesses, plier la raideur de notre orgueil, échauffer ce qui est glacé par notre manque d’amour, redresser nos volontés déviées. Le fruit de l’Esprit saint, c’est la charité : l’amour de Dieu par-dessus tout.
Voilà pourquoi nous parlons de l’Esprit « saint ». Saint veut dire séparé, séparé de tout ce qui n’est pas Dieu. L’Esprit saint est saint car il est Dieu, la troisième personne de la Trinité, mais aussi parce que nous sommes nous-mêmes rendus saints par lui. L’Esprit saint est sanctificateur : en faisant habiter en nos cœurs la loi de l’évangile, il nous sépare du monde et nous fait participer à la vie de Dieu. C’est ça la sainteté : vivre de Dieu seulement et pour Dieu seul. C’est pourquoi l’auteur de la lettre a Diognète a eu cette formule restée célèbre : « les chrétiens sont dans le monde, mais ils ne sont pas du monde ».
Vous aurez certainement remarqué que lors de la messe traditionnelle, à l’offertoire, après avoir présenté les offrandes du pain et du vin, le prêtre élève les mains vers le ciel, et bénit les offrandes en invoquant l’Esprit saint en disant : « Veni Sanctificator – Venez, Sanctificateur, Dieu éternel et tout-puissant, et bénissez ce sacrifice préparé pour la gloire de votre saint nom ».
C’est cette même prière, chers amis, qu’il faudrait répéter dans toutes les épreuves de notre vie. Saint Louis-Marie Grignon de Montfort faisait remarquer que nous n’avons pas le choix de souffrir ou non, nous avons, par contre, le choix de la façon dont nous souffrons. Et il prenait en illustration les deux larrons crucifiés avec Jésus. L’un d’eux se révoltait et insultait le Christ, l’autre acceptait sa peine pour la rémission de ses péchés. À vue purement humaine, la première possibilité à du sens : puisque la pratique de la vertu a quelque chose de plus pénible que de succomber à ses passions, et si le sort du juste doit être le même que celui du coupable, alors à quoi bon chercher à faire le bien ? Mais quel manque de foi et de charité, et quelle tristesse qu’une vie qui n’a pour horizon que la mort ; c’est cette tristesse qui conduit à la révolte. C’est ce que le bon larron, lui, avait compris ; voilà pourquoi il offrit son sort pour le pardon de ses fautes. Et cette offrande lui fit bénéficier de la promesse du Sauveur : « aujourd’hui, tu seras avec moi en Paradis ». Et saint Augustin fit remarquer avec humour que ce bon larron devrait être le saint patron des voleurs, puisqu’il avait même réussi à voler in extremis son propre salut. Voilà l’action de l’Esprit saint, qui illumine les cœurs.
Alors sachons nous aussi, chers amis, offrir par l’Esprit saint les épreuves de notre vie en sacrifice pour la rémission de nos fautes, et ainsi pratiquer la loi de la charité que notre Avocat enseigne à nos cœurs. Alors nous recevrons la part que Dieu réserve à ceux qui l’aiment : Dieu nous sanctifiera, il viendra à nous et demeurera avec nous jusqu’à ce qu’un jour, à notre tour, nous entrions dans ses demeures, pour l’éternité.
Amen.