Le temps de l’Ascension est généralement l’occasion de méditer sur la vertu d’espérance. Lorsque nous disons le chapelet, nous désignons l’espérance comme le fruit de la méditation du deuxième mystère glorieux, qui est justement l’Ascension. L’Ascension, la montée au ciel du Christ, a tourné nos regards vers les hauteurs du ciel, là où il se trouve désormais ; là, par conséquent, où nous reconnaissons se trouver la source de tout bien.
L’espérance est, en effet, la vertu par laquelle nous attendons avec confiance la grâce de Dieu pour nous secourir en ce monde et le bonheur éternel dans l’autre, à cause du fait que Dieu lui-même nous l’a promis. L’espérance est donc liée aux paroles de Jésus. Or, en ce dimanche, chers amis, l’Église offre à notre méditation une de ces paroles, relatée par saint Jean, qui a de quoi nous interpeler : « On vous chassera des synagogues – c’est-à-dire des lieux où les juifs se rassemblent pour prier et rendre gloire à Dieu – et l’heure vient où quiconque vous fera mourir croira rendre hommage à Dieu ». Autrement dit : il viendra un temps où le peuple de Dieu persécutera ses propres membres, les rejettera, et il le fera croyant faire ainsi la volonté de Dieu. Il peut y avoir des moments, en effet, chers amis, où l’on se sent rejetés par l’Église, et même persécutés par elle, quand les charismes dont nous témoignons, ou la façon dont nous vivons notre foi n’est pas comprise non seulement par nos frères dans le baptême mais aussi parfois par nos pères dans le Christ. Mon rôle n’est pas de vous dire ce que vous avez à faire dans ces cas-là, mais de vous aider à imprégner votre conscience des principes de l’évangile afin que vous puissiez ensuite librement poser des actes, ou bien vous abstenir d’en poser, selon votre conscience. Et c’est dans cette optique que je vous invite à méditer les textes qui nous sont offerts ce dimanche.
Un évêque m’a dit un jour « aimer l’Église, c’est comme aimer une femme ; une femme qui est très belle, mais qui le sait ! ». Il ne faut donc pas nous étonner qu’elle nous en fasse parfois voir de toutes les couleurs. Chers amis, si nous souffrons de nous sentir rejetés par l’Église, c’est parce que nous l’aimons et ne saurions supporter d’en être séparés. Cette première considération doit toujours rester présente à notre esprit.
L’Église, voyez-vous, n’est pas une organisation comme les autres : elle est le corps mystique du Christ, dont nous sommes les membres. Ce qui touche l’Église ne nous touche donc pas seulement de l’extérieur, mais vient nous heurter dans notre intimité. Ce qui remet en question notre place dans l’Église vient remettre en question notre vie elle-même, car le membre ne peut être séparé du corps sans mourir. Et parce que la souffrance que nous pouvons ressentir dans ces cas-là touche notre intimité, nous avons du mal à l’exprimer, d’autant plus si nous avons l’impression qu’elle ne sera pas accueillie par ceux à qui nous voudrions la confier. La souffrance se change alors en un ressentiment qui nous enferme en nous-mêmes.
Avec Le Christ, « je vous dit ces choses, afin que vous ne soyez pas scandalisés ». La souffrance nous révolte toujours, elle nous rebute toujours. Mais parce que nous sommes chrétiens, parce que nous appartenons au Christ, et non au monde, il nous est donné d’avoir une certaine part dans la connaissance des mystères de Dieu. Et l’un de ces mystères les plus insondables est justement celui de la réalisation du salut par la Croix. C’est une réalité que le temps pascal peut parfois nous faire oublier, ou au moins placer entre parenthèses. La gloire de la résurrection, loin d’effacer la Croix, en révèle en fait le caractère nécessaire : il fallait que le Christ passe par là pour nous sauver. La Croix est l’unique moyen de salut, c’est pourquoi c’est sur elle qu’est représenté notre Rédempteur, et que c’est son signe que tracent si souvent les chrétiens.
Voyez sur l’autel, cette croix resplendissante ! Elle n’est glorieuse, en réalité, que parce qu’elle porte le Christ, et que nous la voyons à la lumière de la gloire du ressuscité et de celle qui, selon sa promesse, nous attend dans le ciel ; mais en elle-même, la Croix est toujours un signe de mort ignoble.
Le fait que la croix que tous les chrétiens doivent porter, à la suite du Christ, pour leur rédemption, soit parfois chargée sur nos épaules par nos propres frères – comme ce fut le cas pour Jésus lui-même – fait partie intégrante du fardeau qu’il nous faut porter. La croix n’est jamais douce, elle n’est jamais juste non plus, ni choisie, sans quoi elle ne serait plus tout à fait la croix. Ne nous étonnons donc pas de la croix ; et comme le Christ, ne nous laissons pas terrasser par elle !
Mais si, comme Jésus, je prie pour que nous ne soyons pas scandalisés, c’est parce que le scandale, dans le langage de l’évangile, a un sens très particulier. Ce n’est simplement l’étonnement de voir arriver sur la place publique une affaire privée, comme c’est le cas dans le langage courant. Le mot « scandale » vient du grec « σκάνδαλον », qui désigne avant tout une pierre d’achoppement, un obstacle, voir un piège, qui nous fait trébucher. Le scandale, dans la langue de l’évangile, désigne aussi, et surtout, les occasions de pécher.
Si nous méditons ensemble ce matin, chers amis, le mystère de la croix à la lumière des textes de ce dimanche, c’est afin que les souffrances qu’il nous faut tous endurer ne soient pas des motifs de perdre l’amour de Dieu.
« Mes bien-aimés – nous exhorte saint Pierre – soyez prudents et veillez dans la prière ». La prudence est la vertu qui permet de disposer les moyens en vue d’une fin. Les moyens doivent toujours être proportionnés à la fin ; et notre fin ultime, à tous, c’est la béatitude éternelle, la vision de Dieu dans l’éternité. Tout ce que nous faisons ici-bas a donc raison de moyens en vue de cette unique fin. Par conséquent, il ne faut jamais consentir au moindre péché, qui viendrait entraver cette fin.
Le Christ nous a prévenu : « je vous envoie comme des brebis au milieu des loups, soyez prudents comme des serpents ». Il y a donc des moments où il faut savoir se battre, mais tous les moyens ne sont pas bons pour arriver à nos fins ici-bas, car ces fins elles-mêmes doivent rester conformes à notre fin ultime. C’est pourquoi saint Pierre nous appelle encore à avoir « les uns pour les autres une charité persévérante », y compris pour ceux qui nous persécutent, même s’ils viennent du cœur de l’Église. Si nous avons à parler, que ce soit de Dieu et, si nous avons à agir, que ce soit comme pour Dieu. C’est ainsi que nous rendrons témoignage du Christ.
« Voyez comme ils s’aiment », disait Tertullien, le théologien carthaginois du deuxième siècle, à propos des chrétiens. C’est à la charité, en effet, que l’on reconnaît notre appartenance au Christ. Et si l’un ou l’autre de nos frères, du simple baptisé jusqu’au sommet de la hiérarchie épiscopale, semble en manquer, il est permis de le lui faire remarquer par les moyens que l’on juge être les plus adéquats ; il faut surtout prier pour lui, et offrir une part de nos souffrances pour sa conversion, nous souvenant que nous sommes nous-même un océan de misère et que ce n’est pas nous qui sauverons l’Église, mais que c’est par elle que nous serons sauvés.
Amen.