Accéder au contenu principal

Homélie pour la solennité de saint Joseph, artisan

 Le Code de droit canonique, dans sa partie consacrée à la fonction d’enseignement dans l’Église, aux canons qui traitent de l’homélie, dispose que l’objet de la prédication dominicale ainsi que des fêtes doit être non seulement les mystères de la foi, mais aussi les règles de la vie chrétienne, qui doivent être exposés à partir des textes sacrés. C’est le canon 767 § 1, vous pourrez aller vérifier, si vous le voulez ! Et le canon suivant, aux paragraphes 1 et 2, dispose que le prédicateur doit annoncer aux fidèles non seulement ce qu’ils doivent croire, mais aussi ce qu’ils doivent faire pour la gloire de Dieu et le salut des hommes, ainsi que l’enseignement de l’Église sur la dignité humaine et l’organisation des choses temporelles selon l’ordre voulu par Dieu. Et votre prédicateur de ce jour s’était dit que les élections présidentielles seraient une bonne occasion de vous toucher deux mots au sujet de la doctrine sociale de l’Église justement, mais il ne l’a pas fait. Il se réjouit donc que la divine Providence lui offre aujourd’hui – ainsi qu’à vous ! – comme une séance de rattrapage.

Nous fêtons ce dimanche, en effet, saint Joseph, sous son vocable d’artisan, de travailleur ou encore d’ouvrier. Il y a plusieurs appellations possibles. Le terme latin employé dans le Missel romain est « opifex ». L’opifex, c’est, littéralement, celui qui accomplit une œuvre ; au sens strict, c’est le fabricant ou l’auteur, et les termes d’artisan ou d’ouvrier conviennent également. Le sens figuré fait aussi de l’opifex celui qui maitrise une technique, un art : un artiste. C’est donc dans la perspective de l’action et de la production que nous sommes invités, par la prière de collecte de cette fête, à invoquer saint Joseph, puisque nous avons demandé à Dieu, créateur de toute chose, et qui a imposé au genre humain la loi du travail, de nous accorder, grâce à l’exemple et au patronage de saint Joseph, d’accomplir parfaitement le travail que nous avons à faire. Et cela me donne justement l’occasion de vous dire quelques mots, ce matin, sur la conception chrétienne du travail.

Les élèves de cinquième de notre collège paroissial, qui sont présents ici ce matin, pourront vous dire sans hésiter, puisque c’est le programme d’histoire de cette année, que Luther avait accordé une telle importance à la foi qu’il en était venu à affirmer l’absolue inutilité de la pratique des bonnes œuvres. « Sola fide ! » - Seule la foi sauve, disait-il, avec saint Paul. Et saint Paul le dit, en effet, dans ses épîtres aux Romains ainsi qu’aux Éphésiens. Et Luther disait donc que l’on peut pécher autant que l’on veut, pourvu que l’on croie au moins autant que l’on pèche.

Mais le même saint Paul, ainsi que saint Jacques dont il a été question dans l’évangile, nous expliquent aussi que la foi appelle les œuvres : si l’on croit vraiment, on doit se disposer à agir en rapport avec notre foi. C’est pourquoi la perfection chrétienne ne vient pas de la foi, qui améliore notre connaissance par la révélation, mais la perfection vient de la charité, qui rend droite notre volonté, c’est-à-dire pour faire simple : notre disposition à agir. Voilà pourquoi saint Paul nous dit ce matin : « mes frères : ayez la charité, qui est le lien de la perfection ». Et nos braves élèves de cinquième pourront aussi vous dire, puisque nous l’avons vu la semaine dernière, que c’est précisément pour cela que le concile de Trente (1545-1561), a réaffirmé l’utilité des bonnes œuvres pour notre salut.

Car il faut, en effet, chers amis, œuvrer à notre salut, qui reste pourtant toujours un don gratuit de Dieu ; et c’est pourquoi l’Église, qui a la charge de conduire tous les hommes au salut, a un message à donner sur tout ce qui regarde l’action humaine, car c’est aussi par elle que l’on s’ouvre les portes du ciel.

Saint Paul nous dit encore, en effet : « quoi que vous fassiez, en parole, ou en œuvre, faites tout au nom du Seigneur Jésus-Christ ». Toutes nos actions, même les plus triviales, peuvent être, et doivent être, motivées d’une façon ou d’une autre par l’amour de Dieu, par la charité, cette vertu qui nous fait aimer Dieu plus que tout et aimer, notre prochain pour l’amour de Dieu.

Chers élèves, quand vos parents vous demandent de mettre la table, ou de les aider à faire la vaisselle, si vous le faites pour la partie de jeux vidéo que vos parents vous laisseront faire en échange, vous ne gagnerez que quelques minutes d’un petit plaisir que vous aurez bientôt oublié. Mais si vous le faites par amour de Dieu, par amour de Jésus qui s’est fait serviteur pour nous au point de mourir pour nous tous, si vous accomplissez ces petits travaux comme Jésus s’est fait obéissant, en union avec lui, pour être comme lui, alors vous travaillez déjà à votre bonheur éternel. C’est pourquoi saint Paul ajoute aussi que « tout ce que vous ferez, faites-le de bon cœur, comme pour le Seigneur, et non pour les hommes, sachant que vous recevrez du Seigneur l’héritage de la vie éternelle pour récompense ».

Si je vous parle du travail domestique, c’est car nous avons aujourd’hui beaucoup de jeunes de l’école, du collège et du patronage de la paroisse qui sont venus vendre du muguet pour le financement de ces œuvres – et vous voyez, là encore, le rapport entre le travail et le salut : on peine à cueillir du muguet puis à le vendre, pour financer des œuvres qui servent à parler de Jésus aux jeunes – mais j’aborde aussi la question du travail de façon générale par la question du travail domestique car c’est aussi là l’origine de toute activité économique. L’« οἶκος », en grec, c’est la maison ou le domaine, et les « νόμοι », ce sont les lois, ou les règles. Oἶκος-νόμοι : l’éco-nomie, étymologiquement, ce sont les règles de gestion du foyer, de la maison. Je fais mon prof’, pardonnez-moi ! Mais voilà pourquoi nous déplorons souvent que telle entreprise, ou tel état, ne soit pas géré comme le ferait « un bon père de famille » ; sachant que, chez les grecs, et là je fais appel à la mémoire de nos élèves de sixième, c’était la maitresse de maison qui tenait les cordons de la bourse ! Pas le père de famille. C’était une parenthèse.

Et c’est parce que la famille est le modèle naturel de toute société et, par conséquent, de toute vie économique, que l’Église souhaite que l’économie soit orientée vers la consolidation de la famille, en réclamant pour les travailleurs la jouissance du fruit de leur travail, non pas dans l’optique de le consommer sans discernement mais de le faire fructifier encore, à travers la vie familiale, notamment par l’accès à la propriété d’un logement, l’accès à des écoles de qualité – par exemple ! – ou simplement encore l’épargne, qui permet d’envisager l’avenir sereinement. Et vous trouvez là l’enseignement constant de l’Église, depuis Rerum novarum de Léon XIII en 1891 jusqu’à la constitution pastoral Gaudium et spes du second concile du Vatican, en passant par l’encyclique Quadragesimo anno de Pie XI en 1931.

Or, si tous nos travaux, même les plus profanes, doivent avoir non seulement l’amour de Jésus mais sa personne-même pour finalité, quel meilleur modèle pourrions-nous prendre pour les travailleurs que celui qui fut le gardien de la Sainte-Famille et dont le travail a servi à abriter et nourrir le Christ lui-même ? Voilà pourquoi nous plaçons le travail, le travail en général, sous la protection de saint Joseph. Nous lui demandons non seulement de nous faire accomplir les œuvres que nous avons à accomplir sans péché – c’est la prière que nous avons faite entre l’épître et l’évangile, au moment de chanter l’alléluia – mais encore de nous aider à toujours percevoir quel rapport nos œuvres, même les plus modestes, ont avec notre salut éternel. Et ça, c’est la prière que nous ferons tout à l’heure, dans la postcommunion, alors que nous aurons accompli l’œuvre la plus profitable à notre salut, l’acte suprême de la vertu de religion, qui est le saint sacrifice de la messe.

Amen.