Saintes fêtes de Pâques ! Voici le jour que le Seigneur a fait, passons-le dans l’allégresse et la joie ! Alors que nous commémorons la résurrection de Notre-Seigneur, les motifs de joie sont nombreux en ce jour et je peux, quant à moi, reprendre tout particulièrement à mon compte les paroles de l’introït : Seigneur, vous avez posé votre main sur moi.
Le Christ, est ressuscité ! Il était mort, et le voici vivant. Mais pas simplement vivant comme vous et moi. Pas juste vivant, mais ressuscité : passé de la mort à la vie, ainsi qu’en témoignent les plaies glorieuses que son corps conserve. Jésus est passé de la mort à la vie : la pâque, en effet, chers amis, c’est le passage du Seigneur.
Ce passage avait été instituée dans l’Ancienne alliance, comme préfiguration de la Nouvelle, alors que le peuple juif demeurait en Égypte. C’est le sens des prophéties de l’Exode que nous avons lues hier soir, à la lumière du cierge pascal, comme pour signifier que le Christ ressuscité vient donner un éclairage nouveau à ces textes, qu’il en permet la compréhension véritable et en dévoile le sens plénier.
La terre d’Égypte, c’est la terre du péché : le pays est riche, mais il n’accorde aucune place à Dieu. On peut très bien y vivre, mais ce n’est pas la place des enfants de la Promesse. La vie en Égypte, au sens figuré, c’est un peu l’état de celui qui n’est pas baptisé, qui ne connaît pas Dieu, ou qui l’a oublié. Comme les hébreux avaient marqué leurs maisons du sang d’un agneau sacrifié le soir de la première pâque, afin que leur vie soit préservée, le baptême nous fait enfant de Dieu ; c’est comme si le sacrement du baptême nous marquait du sang de Jésus, mort sur la Croix pour nous racheter afin que nous ayons part avec lui à la vie éternelle. C’est ce que nous disons au début de la cérémonie du baptême dans le petit dialogue introductif : – Que demandez-vous à l’Église de Dieu ? – La foi. – Que vous procure la foi ? – La vie éternelle. Et c’est pourquoi nous bénissons les fonds baptismaux dans la sainte nuit de Pâques et avons l’habitude d’y célébrer le baptême des adultes.
La pâque des juifs, c’est aussi le passage de la mer rouge, comme nous l’avons encore lu hier soir. Pour quitter le pays du péché, les hébreux passèrent dans les profondeurs de la mer et en ressortirent bien vivants, comme nous avons quitté l’état de péché en plongeant dans les fonds baptismaux et avons reçu par là l’héritage de la vie éternelle.
Mais comme les hébreux, nous pouvons être tentés de retourner en Égypte. Avec le temps et la difficulté de traverser le désert, on se dit que la terre promise est encore bien loin, que l’Égypte est encore proche, et qu’on y était quand même pas si mal. Alors on se détourne de la route que Dieu nous indique ; de la route qu’il indiquait aux israélites par une colonne de feu, qui nous est rappelée aujourd’hui par le cierge pascal, dont la lumière a chassé hier les ténèbres de l’ignorance et de la mort.
Voilà pourquoi le Seigneur voulut que les hébreux fissent chaque année mémoire de leur sortie de l’Égypte : pour qu’ils se souviennent qu’ils y étaient esclaves, malgré un certain confort, que Dieu les a libérés, et qu’il le fit à main forte. Et non seulement libérés, mais encore conduits et protégés dans le cours de leurs pérégrinations dans le désert.
De même, chers amis, en célébrant chaque année les solennités de la Semaine Sainte, nous faisons mémoire de l’état de mort et de souffrance qui est celui de la nature humaine déchue laissée à elle-même, nous nous souvenons que Dieu n’a pourtant pas abandonné ses enfants, qu’il nous a tant aimé qu’il a envoyé son Fils Jésus pour nous sauver, afin que tous ceux qui croient en lui aient la vie en abondance. Nous n’oublions pas quel prix fut payé pour notre rédemption, et, tandis que nous voyons se rejouer le duel prodigieux de la mort et de la vie, nous nous réjouissons qu’à la fin, la vie triomphe toujours.
Dieu soit loué ! C’est le sens du mot « alléluia », qui est tiré de l’hébreux. Oui, Dieu soit loué pour le mystère de sa sainte incarnation, de sa nativité, de son baptême et de son saint jeûne dans le désert, pour sa croix et sa passion, pour sa mort et sa sépulture, par sa sainte résurrection, son admirable ascension et la venue du Saint-Esprit. Ces louanges, nous les avons chantées explicitement hier soir à la fin de la litanie des saints, après avoir béni les fonds baptismaux et nous en réclamons les fruits à chaque fois que nous recevons les sacrements, en particulier le baptême, la confirmation, la confession et bien sûr l’eucharistie.
Dieu soit loué pour son sacrifice, qui nous donne la vie ! Voilà pourquoi saint Paul nous exhorte à nous purifier encore. Comme pour les hébreux pour qui il n’a pas suffit de sortir d’Égypte mais qui ont encore dû se détourner de vouloir y retourner, nous devons, nous aussi qui sommes baptisés, poursuivre notre chemin en n’ayant en vue que le Christ. C’est pourquoi saint Paul nous demande de nous purifier du vieux levain, et faire une pâte nouvelle.
L’image du levain est souvent employée dans les évangiles. Le levain, c’est une portion de pâte que l’on prélève et que l’on fait fermenter pour ensuite l’incorporer au reste de la pâte afin de la faire lever lors de la cuisson du pain. Notre levain, au sens figuré, c’est ce qui nous fait nous lever, ce qui nous fait nous lever le matin, ce qui nous motive ! Le vieux levain, c’est cette même pâte que l’on réutilise encore et encore depuis toujours. Ce sont les mauvaises habitudes prises pour notre confort ou notre plaisir, ces péchés dont on n’arrive pas à sortir et qui nous poursuivent depuis toujours ou presque, la tentation de vivre pour les choses du monde, même parfois des choses innocentes, mais qui, si on ne vit toujours que pour elles, nous détournent de Dieu. Et si nous étions livrés à notre seule nature, nous n’aurions pas besoin de les combattre. Si notre destin était la mort, pourquoi se priver de jouir sans entrave ici-bas ?
Mais ce n’est pas le cas, chers amis. Par sa résurrection, le Christ nous montre que la mort a été vaincue par la vie, et que nous sommes destinés à la vie éternelle. C’est pourquoi il faut nous purger de notre vieux levain, c’est-à-dire nous convertir, revenir perpétuellement au Seigneur, s’efforcer de toujours tourner notre regard vers le Christ, car il fait toute chose nouvelle. C’était le sens de l’injonction de consommer des pains azymes dans la célébration de la pâque juive, c’est-à-dire des pains sans levain. Des pains qui n’avaient donc rien de commun avec ceux de la veille, qui étaient tout à fait neufs, comme pour signifier qu’en célébrant la pâque, nous abandonnons ce qui nous faisait vivre hier et qui nous conduisait à la mort pour prendre aujourd’hui une nourriture entièrement nouvelle, qui corresponde à la vie nouvelle qui nous est donnée par le Christ plongé dans la mort et revenu à la vie, et que nous avons suivi en plongeant dans les eaux du baptême qui nous donnent la vie éternelle. Et les hosties utilisées pour la messe sont du pain non levé, justement pour cette raison symbolique.
Célébrons donc les fêtes de Pâques, chers amis, avec un levain nouveau : celui de la sincérité et de la vérité. Réjouissons-nous dans le Seigneur ; ainsi que nous le chanterons dans la postcommunion, qu’il répande sur nous l’Esprit de charité et nous unisse dans la concorde, dans l’attente de notre propre passage vers lui.
Joyeuses Pâques !
Amen.