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Homélie pour le dimanche de Quasimodo : « La paix du Seigneur soit toujours avec vous ! »

 La paix soit avec vous ! Supportez, je vous prie, chers amis, la témérité de votre prédicateur qui, ce dimanche, débute son homélie à la manière dont les évêques ouvrent la célébration de la messe pontificale. Pax vobis ! Ces mots qu’adresse aujourd’hui le Christ aux apôtres, et à nous tous à travers eux, sont en effet repris par les évêques, successeurs des apôtres, pour inviter les fidèles à la prière, alors que les simples prêtres disent : Dominus vobiscum – le Seigneur soit avec vous.

Vous aurez probablement remarqué – et si ce n’est pas le cas, je vous invite à y prêter attention désormais – qu’avant d’adresser aux fidèles cette invitation, le prêtre dépose systématiquement un baiser sur l’autel, au centre, là où se trouve, sous les nappes, une pierre spécialement consacrée par l’évêque, pour qu’y soient célébrés les saints mystères. Il signifie par là que le principe de la paix et de l’unité des chrétiens, le lieu d’où vient notre paix, c’est là où on célèbre la messe, c’est l’autel, c’est le Christ.

Lors de son existence terrestre, Jésus a parcouru inlassablement la Terre sainte pour répandre la Bonne nouvelle, et ses apôtres avec lui ; c’était donc de la fatigue et du labeur qu’il leur donnait. Lors de sa Passion, que nous venons de commémorer, Jésus était pour eux un motif d’inquiétude, de peur, de souffrance et de crainte. Sa mort leur a causé de la tristesse, et sa résurrection, une indicible joie. Mais c’est la paix, désormais, que Jésus cause chez ses disciples, comme il l’avait déjà annoncé lors de son dernier repas, le Jeudi saint, quand il leur avait dit : « je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ».

Et saint Augustin nous fait remarquer que la paix que Jésus laisse n’est pas la même que celle qu’il donne.

La paix qu’il nous laisse, c’est la paix que nous procure une conscience pure et la grâce de Dieu, dont nous pouvons jouir ici-bas. C’est la paix des hommes de bonne volonté que nous chantons dans le Gloria de la messe. Mais c’est une paix qui n’exclut pas le combat et ne nous empêche pas d’avoir encore des choses à souffrir en cette vie. C’est la paix qui procède de l’état d’amitié avec Dieu mais qui exige de nous, pour la conserver, que nous recourions encore souvent à sa divine miséricorde, dans nos prières, comme quand nous disons le Notre-Père ou le Confiteor, et dans les sacrements, notamment la Confession.

La paix que Jésus nous donne, en revanche, c’est la paix dont nous jouirons dans la vie éternelle. C’est la paix que nous demandons dans l’Agnus Dei, quand, après avoir supplié le Christ d’avoir pitié de nous, nous lui demandons la paix, nous lui demandons sa paix. C’est cette paix qu’aujourd’hui, le Christ ressuscité offre à ses disciples, et qu’il promet à nous tous après les douleurs, les larmes et les deuils de cette vie, comme nous l’avons chanté ce matin dans l’hymne des laudes. Vous savez d’ailleurs, chers amis, que la prière de l’Office divin n’est pas réservée aux clercs, les laïcs peuvent aussi y prendre part. Je dis ça comme ça… C’était une parenthèse ! Et c’est pour nous offrir cette paix que Jésus est passé par la mort, et la mort de la croix. Après avoir promis cette paix, Jésus montre à ses disciples le trou laissé par les clous dans ses mains, et par la lance dans son côté. Voyez, chers amis, le prix de la paix que Dieu nous offre !

On pourrait s’étonner, pendant ce temps pascal, de voir toujours la croix sur l’autel. Le temps de la croix, c’est le temps du Carême, me dira-t-on. Assez avec ça ! Christ est ressuscité ! Alléluia, c’est fini ! Mais c’est ignorer la valeur de notre rédemption, chers amis. La résurrection n’efface pas la croix, elle la transforme : d’un instrument de mort, elle en fait un instrument de gloire. Voilà pourquoi le Christ porte encore ses plaies, mais des plaies glorieuses. Le Vendredi saint, les plaies des clous et de la lance étaient des empreintes de mort. Au matin de Pâques, elles sont devenues les signes de la vie : en les voyant et en les touchant, les disciples ont la preuve que c’est bien ce Jésus qui était mort qui est devant eux, vivant, non un fantôme. La croix est là pour nous rappeler que nous avons été rachetés à grand prix, et nous rappeler qu’obtenir la paix qui nous est promise passe toujours par la croix. C’est ce que demande l’Église ce dimanche : nous souvenir toujours de quel sang nous avons été rachetés, dans la collecte de la forme ordinaire.

Donc, chers amis, ne nous attendons pas à pouvoir nous passer de la croix. La paix ici-bas est possible, mais comme je vous l’ai dit, cette paix n’exclut pas la contradiction. Les chrétiens seront toujours en lutte avec le monde. Jésus entre aujourd’hui dans la maison alors que toutes les portes étaient closes, pour signifier qu’aucun obstacle ne peut l’arrêter ; mais il ne dit pas à ses disciples de rester chez eux tranquillement, non : il les envoie en mission : « comme mon Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie », dit-il. C’est parce que la vie chrétienne est une lutte, chers amis, une lutte menée sous la bannière de la croix glorieuse, avec la certitude et la force de la foi, qui triomphe du monde, comme nous le dit saint Paul.

J’attire d’ailleurs votre attention sur les messes de semaine pendant le temps pascal. Vous verrez qu’il y a de nombreuses fêtes de martyrs, c’est-à-dire ces chrétiens qui ont supporté jusqu’au bout la contradiction du monde, sans céder, jusqu’au don de leur vie. Hé bien dans la forme extraordinaire, ils ont une messe spéciale ; je vous invite à lire, dans vos missels, la messe des fêtes de martyrs pour le temps pascal ; elle est tout particulièrement belle.

Cette lutte du Christ contre le monde, c’est ce qui s’est joué dans le mystère pascal. Et c’est ce qui se rejoue chaque jour sur les autels, lors de la sainte messe. La messe, c’est la réactualisation de tout le mystère pascal.

En consacrant séparément le pain et le vin, nous signifions la séparation du corps et du sang du Christ, c’est-à-dire sa mort. Mais la séparation n’est pas réelle dans les saintes-espèces, puisqu’à la fois l’hostie et le vin sont changés tous les deux dans le Christ tout entier : son corps, son sang, son âme et sa divinité, qui ne conservent de différences que leurs apparences. C’est un point un peu complexe, retenez simplement que l’hostie et le vin consacrés sont la même substance : le Christ tout entier, c’est ça qui est réel. Et c’est pourquoi la communion sous les deux espèces n’apporte rien de plus que de communier sous une seule : la double consécration, la séparation des espèces, n’est requise que pour la célébration du mystère, pas pour y participer par la communion.

Après le Pater, le prêtre fractionne l’hostie et laisse tomber une parcelle dans le Précieux sang, justement pour signifier la réunion, dans le mystère que nous célébrons, du corps et du sang du Christ : sa résurrection. Il le fait en faisant cette prière : Pax Domini sit semper vobiscum – Que la paix du Seigneur soit toujours avec vous, tandis qu’il trace au-dessus du calice le signe de la croix avec la parcelle, avant de l’y laisser tomber, pour bien signifier ce lien qu’il y a entre la paix de Dieu et la croix.

L’esprit du temps pascal n’est donc pas l’oubli de la croix mais comprendre que c’est en passant par la croix que nous pouvons jouir des joies et de la paix qui nous sont données de vivre en ce moment. Et c’est ce que nous avons demandé dans la collecte de cette messe : retenir l’esprit de ces fêtes, qui est la joie, pour en imprégner toute notre vie, dans l’espérance de contempler un jour au ciel la gloire du Christ ressuscité.

Que la paix du Seigneur soit toujours avec vous !

Amen.