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Homélie pour le deuxième dimanche de carême : « Il est bon d'être ici. »

 Dix jours ! Voilà dix jours déjà que nous sommes entrés en Carême et que nous cheminons à travers le désert des petits sacrifices que nous avons consentis à nous imposer. Parce que c’est bien d’une marche qu’il s’agit, chers amis, il nous faut marcher, comme saint Paul nous y invite dans l’épître que nous avons entendue.

Mais pour quoi marcher ? Pour aller où ? Pour trouver quoi ? Qu’attendons-nous de ce Carême ? Qu’est-ce qui a motivé nos résolutions ? Voyez les juifs qui avaient quitté l’Égypte sous la conduite de Moïse, ils étaient remplis de ferveur au moment du départ et, rapidement, en sont venu à douter. Ils oublièrent alors que c’est Dieu qui leur avait donné ce commandement, et la promesse d’une terre. Après quelques temps dans le désert, le confort de l’Égypte et l’abondance de sa nourriture commença à leur manquer. Ils avaient perdu non pas la foi, mais la conscience de leur objectif.

Pour nous aussi, cette difficulté peut se présenter. À quoi ça sert, tout ça ? C’est la question qui vient avec les difficultés et la fatigue. Qu’est-ce que ça change, que je fasse des efforts ou non ? Nous devons envisager notre cheminement quadragésimal à la manière d’un caravanier qui traverse le désert et va d’oasis en oasis pour se reposer à la fraîcheur de l’ombre des palmiers, et remplir sa gourde d’eau. Cette eau, c’est la Parole de Dieu, dont nous devons nous abreuver quotidiennement. Mais en plus, chaque dimanche, nous sommes invités à nous arrêter un peu et accorder plus de temps à la méditation de cette Parole, et c’est aussi le moment de sortir la carte pour faire un petit point sur notre route.

C’est en ce sens que Jésus, dans son périple, prit à part Pierre, Jacques et Jean, et les emmena à l’écart, sur une haute montagne, pour bien signifier que la réception des grâces, qui sont toujours un don gratuit, doit tout de même se préparer par un certain effort. Or, la montagne, c’est par excellence le lieu de l’effort, mais aussi de l’élévation vers le ciel.

C’est là que Jésus fut transfiguré devant eux, c’est-à-dire que les disciples purent apercevoir un peu de la gloire divine que nous sommes appelés à contempler pour l’éternité : « son visage resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent blancs comme la neige ». Cette vision seule aurait pu suffire à provoquer l’adoration des disciples présents, qui auraient été comme écrasés par la gloire de Dieu, ne pouvant supporter une telle clarté, une telle majesté, mais ce n’est pas la façon dont Dieu veut que nous l’aimions. Les disciples, en effet, n’étaient pas éblouis au point d’être aveuglés ; ils l’étaient juste assez pour comprendre que c’était une infime part de la gloire divine qu’ils contemplaient, mais aussi juste assez peu pour voir l’autre vision que Jésus leur manifesta : devant eux se tenaient, en effet, Moïse et Élie.

Moïse, c’est le législateur, c’est celui par qui Dieu donna à son peuple non seulement les dix commandements, mais aussi toute la loi ancienne. Élie, c’est le prophète par excellence, à tel point que les juifs se demandèrent si ce n’était pas lui qui était revenu lorsqu’ils entendirent parler de saint Jean-Baptiste. En se tenant entre eux, Jésus se manifeste comme celui qui est annoncé par la loi et les prophètes, c’est-à-dire comme celui vers qui converge tout l’Ancien testament ; c’est ce qu’il voulait que ses disciples comprennent.

Admirons, chers amis, la façon dont Dieu se révèle à nous : certes il montre son pouvoir et sa gloire, que ce soit par des miracles ou d’autres manifestations, comme aujourd’hui, mais il n’en fait jamais trop, au point de s’imposer à nous ; il ne nous force jamais, il ne fait jamais violence à notre esprit. Dieu nous a créé libres, doués d’une intelligence et d’une volonté qui nous rendent capables d’être le principe de nos propres actions. En se révélant ainsi à ses disciples, Jésus ne s’impose pas à eux, il ne les brise pas au point d’être adoré comme par contrainte, au contraire : il se donne de façon à être compris par ses disciples, de façon à être reçu par leur intelligence, de façon que ceux-ci puissent adhérer volontairement au mystère qui leur est proposé et répondre librement par l’adoration. Pour croire, il faut toujours faire un acte de foi libre, chers amis, on ne peut forcer la foi car Dieu n’écrase pas, il élève toujours. « Les grandes choses ne se laissent pas voir, disait le Père Garrigou-Lagrange, elles se laissent soupçonner ».

C’est pourquoi, chers amis, il est si bon de passer du temps aux choses de Dieu, car elles nous donnent à pleinement exercer ce qui nous rend vraiment humain : les facultés les plus hautes de notre esprit, créé à l’image de Dieu, qui sont notre intelligence et notre volonté, et dont les actes rejaillissent ensuite sur tout ce qui y est subordonné, jusqu’au corps. Et c’est aussi cela que nous sommes invités à redécouvrir en ce Carême. À tel point que saint Pierre voulait que ce moment ne finisse jamais, ne jamais devoir redescendre de cette montagne et quitter cette belle compagnie. Et donc il propose de dresser des tentes. Mais c’est oublier que notre véritable patrie est dans les cieux et que c’est là que sera notre repos ; c’est oublier que cet épisode ne devait être qu’une pause, destinée à la fois à fortifier les disciples et leur faire comprendre vers quoi ils devaient cheminer. Saint Luc rapporte justement, dans son évangile – nous avons lu saint Matthieu – que c’est de la Passion qu’il allait avoir à souffrir qu’Élie et Moïse s’entretenaient avec Jésus.

Alors, chers amis, en ce deuxième dimanche de Carême, sachons savourer le temps de repos qui nous est donné. Repos, avant tout, dans la Parole de Dieu et dans la méditation de ses mystères. Repos aussi dans les petites austérités que nous avons consenties pour la gloire de Dieu : qui veut aller loin ménage sa monture, dit le proverbe. Profitons de cette oasis dominicale dans laquelle le Seigneur s’offre à notre contemplation, et sachons dès demain reprendre la route qui nous conduit, année après année, à la célébration du mystère pascal, dans l’attente de pouvoir contempler le visage glorieux du Christ pour l’éternité.

Amen.