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Homélie pour le 5e dimanche après l'Épiphanie : Dieu veut nous aguérir.

 « La mer, qu’on voit danser le long des golfes clairs, a des reflets d’argents. La mer, au ciel d’été confond ses blancs moutons avec les anges si purs, bergère d’azur infinie. »

Rassurez-vous, chers amis, je ne me suis pas trompé de lecture pour préparer mon homélie de ce dimanche ; et ce n’est pas sur ces paroles bien connues de Charles Trenet que je vais prêcher, mais bien sur celles de saint Matthieu. Cependant, je voudrais attirer tout d’abord votre attention sur la conception que nous nous faisons de la mer. La mer, pour nous qui en sommes voisins, n’est pas vraiment synonyme de vacances, mais elle évoque tout de même une forme de détente ou de loisir.

Mais voyez-vous, chers amis, pour les hommes de l’antiquité, il n’en était rien. La mer, pour nos ancêtres, était avant tout synonyme de danger et de mystère. La mer, c’est la frontière de ce que nous connaissons : au-delà, personne n’y est jamais allé, et de ceux qui sont allé en deçà, personne n’est jamais remonté. La mer c’est un monde inconnu, peuplé – dit-on – de monstres fabuleux. La mer, c’est aussi le changement et le mouvement permanent, vague après vague, marée après marée, toujours changeante, et en même temps toujours la même, dévorant et assimilant tout ce qui s’y abandonne. Enfin, la mer, c’est le lieu de tous les dangers. La navigation était autrefois quelque chose de particulièrement risqué, les naufrages étaient fréquents. On naviguait d’ailleurs le moins possible en haute-mer ; jusqu’à la fin du Moyen âge, on pratiquait presque exclusivement le cabotage, d’autant plus que les moyens de s’orienter, une fois les côtes hors de vue, étaient très approximatifs.

Il existe d’ailleurs un jeu de mot en latin, qui fonctionne aussi en français, entre « la mer » et « l’amer ». La mer évoque l’amertume, qui est le goût du poison. Prendre la mer, pour les anciens, c’est avant tout s’exposer à la mort.

C’est pourquoi la barque sur les flots, dont nous parle saint Matthieu ce dimanche, est une image classique du combat spirituel : que ce soit la barque de Pierre, figure de l’Église, chahutée par le monde, ou la barque de notre âme ballottée par le péché. Par le baptême, en effet, chers amis, nous avons fait monter Jésus dans la barque de notre âme, ou alors est-ce nous qui sommes montés dans la sienne ou celle de saint Pierre, comme vous préférez, les deux images se valent, toutes deux expriment quelque chose du mystère chrétien. L’essentiel à retenir c’est que, comme chrétiens, nous sommes embarqués avec Jésus, et nous avançons au large.

Voyez où Jésus se place : à la poupe. Ce n’est pas saint Matthieu qui nous donne ce détail mais saint Marc, quand il raconte le même évènement. La poupe, c’est l’arrière du bateau. C’est là que prend place le passage le plus important du navire, c’est de là aussi que le navire est dirigé. Que ce soit dans l’Église ou dans notre âme, c’est toujours Jésus qui doit être à la place d’honneur, près de là où l’on pilote le navire !

Cette aventure que vivent aujourd’hui les disciples en compagnie du Christ, c’est vraiment l’image de ce qu’est notre vie ici-bas. Quand nous sommes assaillis par les épreuves, que ce soient les tentations, le poids de nos péchés commis, ou encore des épreuves d’ordre naturel, comme la maladie, par exemple, ou n’importe quelle contradiction que chacun de nous peut rencontrer, nous avons l’impression de traverser une tempête. Alors que le vent se lève, les flots s’agitent et notre barque se met à tanguer. Ce sur quoi nous pensions trouver un appui s’avère être en réalité un piège duquel nous ne voyons pas comment nous échapper. Nous qui nous croyions si stables et si solides, nous commençons à balancer. Les vagues se creusent et au fur et à mesure que la tempête se lève, les creux ressemblent de plus en plus à autant de gueules béantes qui menacent de nous engloutir. La tempête nous met à l’épreuve.

Jésus nous a appris à appeler Dieu « notre Père ». Comme un père, en effet, Dieu nous éprouve pour nous aguerrir, dit Dom Pius Parsch. Les mères ne font pas ça : elles débordent de tendresse pour leurs enfants, qui trouvent en elle toute la consolation inconditionnelle dont ils ont besoin. Mais le père, lui, suscite, par amour, des épreuves pour ses enfants qu’il veut faire grandir, tout comme le fer a besoin d’être chauffé à blanc pour être travaillé, tout comme l’or a besoin de passer par le creuset pour être purifié. Et l’enfant a besoin des deux ; le père et la mère ne sont pas interchangeables.

Car ce qui nous conduira au ciel, chers amis, ce n’est pas la paix – enfin, c’est la paix en Dieu, mais ce n’est pas la tranquillité du monde. Ce qui nous conduira au ciel, c’est avant tout la pratique des vertus théologales. « Théologal », c’est un mot un peu barbare pour nous, qui vient du grec et qui désigne les vertus qui viennent de Dieu et qui servent à revenir à Dieu ; il y en a trois, qui sont la foi, l’espérance et la charité. 

La tempête met ces vertus à l’épreuve. Si Jésus permet que nous affrontions la tempête – tempête que nous cherchons parfois nous-mêmes, parfois qui vient indépendamment de nous – ce n’est pas pour nous perdre, mais pour nous fortifier, comme un père aimant. Jésus ne nous abandonne jamais, il est toujours dans la barque avec nous. Si toutefois il peut se taire, s’il peut donner l’impression de nous oublier, ou de dormir, ce n’est pas parce qu’il se détourne de nous, mais plutôt pour nous laisser une place active. Si Jésus se tait, c’est pour que nous puissions parler.

Aristote montre que l’une des trois qualités essentielles de l’amitié est la communication. Les amis et les amoureux doivent se parler ! Jésus aurait pu apaiser les flots dès la première vaguelette un peu hardie. Il aurait même pu faire que les disciples ne se rendent compte de rien et traversent le lac de Tibériade, aussi appelé mer de Galilée, par un temps tranquille, sous un soleil radieux, pêchant quelques poissons au passage qu’ils auraient fait griller avec des herbes en sirotant leur pastis… Mais la vie chrétienne, ce n’est pas ça. La vie chrétienne, c’est une vie de combat contre le péché, contre le monde et contre son prince, et, en raison de ce combat, c’est aussi et surtout une vie d’amour, d’amour avec le Christ, d’amour avec Jésus qui est venu dans le monde pour vaincre le péché et nous sauver. Si Jésus parfois se tait, c’est pour nous laisser lui parler, pour que nous lui disions : « Seigneur, sauvez-nous, nous périssons ! » Si Jésus semble absent, c’est pour nous permettre d’aller vers lui. C’est lui qui nous a aimé le premier, mais c’est à nous, désormais, de répondre à cet amour.

Combien est-ce difficile, chers amis, dans les occupations qui sont les nôtres dans la vie active ! Trouver du temps pour parler à Jésus, c’est déjà un combat ! Nous avons fêté cette semaine saint François de Sales, et vous savez que dans son petit livre d’initiation à la vie spirituelle intitulé Introduction à la vie dévote, il recommande fortement à tous les fidèles – et saint François de Sales s’adresse tout particulièrement aux laïcs – il leur recommande de faire une retraite annuelle. Pensez-y vous aussi, chers amis, en cet avant-dernier jour du mois de janvier, il est encore temps de prendre des bonnes résolutions ! Réfléchissez, dès aujourd’hui, à l’importance de prendre quelques jours pour n’être qu’avec Dieu, et cherchez déjà une date, et un lieu. La plupart des monastères offrent cette possibilité, ne manquez pas de demander conseil à vos prêtres ou vos diacres si vous ne savez pas à qui vous adresser.

Jésus est toujours avec nous, chers amis, jusqu’à la fin des temps et pour l’éternité. Sachons simplement reprendre conscience de sa proximité en lui parlant simplement, en lui confiant nos épreuves, lui qui n’a qu’un mot à dire pour calmer les tempêtes.

Amen.