Accéder au contenu principal

Homélie pour le 3e dimanche après l'Épiphanie : « Celui-ci est mon Fils bien aimé ».

 Épiphanie est un mot tiré du grec, qui signifie « manifestation ». La fête, ou plutôt les fêtes, de l’Épiphanie rassemblent les mystères de la manifestation du Christ, les grands évènements dans lesquels il commence à se révéler. Et il y a traditionnellement trois évènements rattachés à l’Épiphanie.

Tout d’abord, il y a, vous le savez, la venue des Mages d’Orient, guidés vers la crèche de Bethléem par un signe mystérieux – une étoile – qu’eux seuls percevaient. Les Mages apportaient avec eux trois présents. L’or, pour signifier la royauté du Christ. La myrrhe, résine très odorante dont on se servait en Orient pour parfumer le corps des défunts avant leur sépulture, pour les préserver un peu, témoignant de l’humanité mortelle prise par le Verbe éternel. Et enfin l’encens, qui est aussi une résine, et qui a toujours été brûlée en l’honneur des dieux, témoignant ainsi de la foi qu’avaient déjà les Mages en la divinité de celui qu’ils étaient venus adorer.

La seconde manifestation que nous célébrons avec l’Épiphanie est celle du baptême de Jésus. Manifestation opérée à la fois par saint Jean-Baptiste, qui s’écria en le voyant « voici l’Agneau de Dieu », et par Dieu le Père lui-même, qui fit alors entendre sa voix du haut des cieux disant : « celui-ci est mon Fils bien aimé ». Enfin, une troisième manifestation fut celle du miracle des noces de Cana, que nous avons commémoré dimanche dernier, miracle du changement de l’eau en vin, qui fut le premier miracle public de Jésus, son premier miracle « officiel », pourrait-on dire, et qui marque la fin de sa vie cachée, ainsi que le début de son ministère public. Et c’est pourquoi nous avons désormais pris la couleur verte, couleur de la végétation qui renaît après l’hiver, couleur donc de l’espérance, afin de signifier que nous entrons maintenant dans le temps de notre sanctification, c’est-à-dire des œuvres à accomplir pour notre salut – le temps de Noël ayant quelque chose de plus contemplatif.

En ce troisième dimanche après l’Épiphanie, donc, l’évangile qui est offert à notre méditation poursuit le cycle des mystères des manifestations de Jésus au monde entier en même temps qu’il nous introduit à l’annonce des efforts qu’il faut faire pour le suivre. Jésus, en effet, se montre d’abord avec un lépreux, c’est-à-dire une personne ostracisée par la société, et en particulier par la société des juifs, obsédés par la pureté rituelle et légale. Toute ressemblance avec une situation contemporaine serait évidemment purement fortuite. Puis Jésus est abordé par un officier à la solde de l’occupant romain, c’est-à-dire un païen, donc encore quelqu’un qui ne vit pas comme la plupart des gens autour de lui. Et Jésus accueille les demandes de ces deux marginaux, et leur annonce que « beaucoup viendront de l’Orient et de l’Occident – c’est-à-dire du monde entier, au-delà de ceux qui pensent leur salut acquis – et prendront place » avec lui dans le Royaume des cieux. Aujourd’hui se poursuit donc la promesse de la manifestation de l’évangile jusqu’aux confins de la Terre, commencée le jour de l’Épiphanie avec la venue des Mages d’Orient, et que le prophète Isaïe avait déjà annoncée.

Mais évangéliser la Terre entière, ce n’est pas nécessairement aller au bout du monde. Ce qu’il y a de plus éloigné à évangéliser, de plus difficile à atteindre, ce n’est pas toujours ce qui est le plus éloigné géographiquement, mais c’est aussi parfois ce qu’il y a de plus enfoui en nous-mêmes, et qui ne voit la lumière que trop rarement. Ou plutôt, ce sur quoi on ne veut bien faire la lumière que trop rarement. Ah ! me direz-vous, les fêtes de Noël sont déjà loin, et je ne sais pas si j’ai vraiment profité de leur lumière pour m’aider à y voir plus clair… Gardez courage, chers amis : le mois de janvier est traditionnellement le mois des bonnes résolutions, et nous avons, dans la lecture d’aujourd’hui, deux bons exemples à suivre. Oh ! me direz-vous encore, les bonnes résolutions, j’en prends chaque année, mais je ne les tiens jamais ! Pas de panique, chers amis ! Le Carême sera bientôt là pour vous les rappeler. Ne songeons pas à ce que nous aurions pu faire, ou aux échecs que nous risquons de subir, mais faisons notre possible ici et maintenant. « Ne nous laissons pas vaincre par le mal », nous dit saint Paul. Laissons Dieu seul juge de nos efforts, et avançons bonnement et simplement.

Et pour avancer bonnement et simplement, les deux protagonistes de l’évangile de ce dimanche nous donnent deux exemples, chacun pouvant figurer un des deux sacrements qui doivent alimenter régulièrement notre vie spirituelle. Parce qu’on ne peut pas cheminer le ventre vide, chers amis ! Pour entamer la course de notre sanctification, il faut nous nourrir, et la façon la plus élémentaire de le faire, c’est avec du pain et de l’eau. Tout le monde, je pense, aura reconnu dans les paroles du centurion les mots que la sainte liturgie met sur nos lèvres au moment de recevoir l’Eucharistie, qui est le pain descendu du Ciel. C’est donc seulement de l’eau que je vous parlerai ce matin, pour ne pas être trop long. Peut-être que je développerai le thème du pain une autre fois ; l’an prochain à la même date, tiens, vous pouvez déjà le marquer dans vos agendas – si Monsieur le Curé est d’accord !

L’eau, vous le savez, chers amis, c’est la façon dont on illustre parfois la grâce, c’est-à-dire l’amour de Dieu en nous, la dimension divine de la vie qui nous anime. C’est aussi un symbole de pureté. Le lépreux, c’est celui qui est irrémédiablement impur, c’est pourquoi, dans l’Antiquité, il était mis au ban de la société des hommes. C’est aussi pourquoi la lèpre est un symbole du péché. Le péché souille tout. Il détruit tout. Comme la lèpre, il pourrit tout. La lèpre, qui se voit, provoque le rejet de la société ; le péché, qui ne se voit pas, provoque une rupture entre l’âme et Dieu, entre l’âme et la société des chrétiens qui est l’Église, rupture qui elle non plus ne se voit pas, mais est pourtant bien réelle.

Mais si Jésus est venu dans le monde, c’est justement pour nous guérir de notre misère, pour nous purifier de cette lèpre spirituelle qu’est le péché. À celui qui le lui demande humblement, prosterné à terre comme notre pauvre lépreux de ce matin, Jésus répond toujours : « je le veux, sois guéri ». Le péché, chers amis, est toujours une offense faite à Dieu, c’est pourquoi seul Dieu peut le pardonner. Mais observez la façon dont il le fait : il purifie directement le lépreux, mais pourtant il lui commande de ne pas se tenir pour purifié tant qu’il n’aura pas accompli les œuvres prescrites par la loi de Moïse, et c’est pourquoi il l’envoie vers les prêtres.

Il en va de même pour nous, chers amis. Quelle que soit la contrition que nous éprouvons pour nos fautes, quelle que soit la douleur de notre cœur pour les péchés que nous avons commis, et quoique seul Dieu les puisse pardonner, il faut accomplir l’œuvre établie par Dieu pour en obtenir le pardon, et cette œuvre, c’est la Confession. Quand nous confessons nos péchés à un prêtre, ce n’est pas à l’Abbé Untel que nous nous confessons, mais nous nous confessons à Dieu par le prêtre. Quand ce même prêtre nous donne l’absolution, ce n’est pas un homme qui nous pardonne nos fautes, mais Dieu lui-même par le prêtre, qui dit « je vous pardonne » non pas en son nom, mais au nom du Christ en vertu de son ordination sacerdotale, qui a fait de cet homme un autre Christ. Non pas un deuxième Jésus, mais plutôt une nouvelle présence de Jésus parmi nous, par cet homme, par ce prêtre. Et c’est aussi pourquoi le prêtre est tenu au secret le plus absolu et inviolable sur ce qu’il entend en Confession, car ce n’est pas à lui que sont confiées les consciences mais, par son intermédiaire, à Dieu.

« Va ! », dit Jésus au lépreux. « Va ! », dit-il à chacun de nous. « Va voir un prêtre ! » : allons toujours nous confesser de bon cœur, conscient que nous allons ainsi à la source de l’eau vive. « Montre-toi ! », dit encore Jésus. Montrons-nous toujours tels que nous sommes, sans rien cacher, sans fausse pudeur qui voudrait dissimuler nos fautes. Ne nous excusons pas. Ne nous déguisons pas. Ne nous cachons pas, si nous voulons être regardés par Dieu. Et montrons-nous, nous ! Il s’agit de nous, ne parlons pas des autres. Et enfin, dernier commandement : « offre le don prescrit par la loi ». Offrons le petit acte de satisfaction qui nous est alors demandé pour participer à la rémission de nos fautes, comme un don généreux offert pour ce nouveau baptême que nous recevons avec l’absolution.

Parce que c’est bien de cela qu’il s’agit, chers amis. L’eau qui a coulé sur notre front le jour de notre baptême a lavé la souillure du péché originel. L’eau spirituelle que nous recevons dans le sacrement de Pénitence nous lave de la souillure des péchés actuels, commis depuis.

Mais alors se pose une question : à quelle fréquence faut-il se laver ? Bonne question, n’est-ce pas ? À quelle fréquence faut-il se laver ? … Question à laquelle, hors de ce contexte, tout le monde s’empresserait de répondre « tous les jours ! ». Enfin, j’espère ! Et voyez-vous, chers amis, nous ne comprendrions pas, de nos jours, qu’on puisse répondre autre chose si on posait la question à n’importe qui, dans la rue, par exemple. Comment se fait-il que seuls les chrétiens, quand ils sont à l’église, ne répondent pas immédiatement « tous les jours ! » à cette question ? Attention à la crasse spirituelle, chers amis. À force de la sentir, on peut finir par ne plus la remarquer. Le péché qui s’installe amène l’âme à se détourner imperceptiblement des choses de Dieu. Nous n’attendons généralement pas que nos narines – ou celle de notre entourage – nous fasse savoir qu’il est temps pour nous d’aller faire un tour à la salle de bain pour y aller. Au contraire, nous avons une habitude qui nous fait nous laver régulièrement. Mais ce n’est pas seulement par routine que nous le faisons, mais aussi et surtout par conviction que si nous manquions ce rendez-vous quotidien avec le savon nous aurions quand même un problème.

De la même façon, chers amis, ne repoussons pas la miséricorde de Dieu. N’attendons pas d’en sentir le besoin pour en bénéficier. Au contraire : plus nous irons à la source qui coule dans le confessionnal, plus nous sentirons le désir de nous y plonger pour nous y purifier. Saint Jean Paul II se confessait tous les jours. Pas parce qu’il était saint, non ! Au contraire : il est devenu saint justement parce qu’il a réclamé, tous les jours, la miséricorde de Dieu. Dans mes années de séminaire, on nous enseignait à nous, jeunes clercs, de nous donner comme objectif de nous confesser au moins une fois par semaine. Chers amis, l’Église vous impose de ne le faire qu’au moins une fois par an, mais je vous en prie, demandez-vous devant Dieu si cela est vraiment suffisant.

Le cycle des lectures des dimanches de l’année, chers amis, rappelle régulièrement ce thème à notre méditation. Souvenez-vous du publicain, demandant à Dieu le pardon de ses péchés, prosterné à terre devant le temple, et se frappant la poitrine. Souvenez-vous de la Samaritaine, à qui Jésus promet une eau qu’elle ne peut puiser elle-même, alors qu’il est midi et qu’elle croule sous la chaleur, chaleur avant tout de ses péchés. Souvenez-vous du paralytique à qui Jésus remet ses péchés en même temps qu’il lui permet de se relever, c’est-à-dire qu’il lui rend sa dignité. Et souvenez-vous de la femme adultère, que Jésus refuse de condamner. « Dieu tout-puissant et éternel, jetez un regard favorable sur notre faiblesse », avons-nous demandé dans la collecte de cette messe. Ce regard n’est pas favorable parce que Dieu aime nos faiblesses, il l’est parce que Dieu nous aime nous, malgré nos faiblesses et parce que nos péchés lui donnent l’occasion d’exercer sa miséricorde.

Dieu a tant aimé le monde qu’il a offert son Fils unique en sacrifice sur la Croix, afin que par ce sacrifice le monde soit sauvé, nous dit saint Jean. En ce dimanche, demandons-nous donc quelle considération nous avons pour le sacrifice du Christ et ses fruits ; sous quel signe nous voulons placer l’année qui s’ouvre, et quelle étoile nous voulons suivre pour cheminer.

Amen.