« Dum médium siléntium… Tandis que tout se tenait dans le silence, et que la nuit, dans sa course, était au milieu de son chemin, votre parole toute-puissante, Seigneur, vint des cieux du trône royal ». Par ses superbes paroles s’est ouverte la messe que nous célébrons en ce jour, alors que nous sommes encore tout émerveillés des splendeurs de la nuit de Noël. Cette nuit-là, en effet, nous avons vu le salut que Dieu a donné aux hommes : un enfant nouveau-né, couché dans une crèche. Années après années, les chrétiens fêtent l’avènement dans la chair du Verbe éternel : Dieu fait homme pour nous sauver.
La naissance du Rédempteur, vous le savez, chers amis, intervint après une préparation qui s’est étendue sur des millénaires. C’est toute l’histoire de l’Ancien testament, dont nous faisons mémoire dans le temps de l’Avent. Avec la venue dans le monde du Christ, l’Ancienne alliance, par laquelle Dieu guidait le peuple qu’il s’était choisi dans les vicissitudes de l’histoire, prend fin et une Nouvelle alliance est instaurée, par laquelle Dieu guide chaque homme vers son salut personnel. Désormais, en effet, tout est accompli, et chacun a à sa disposition tout ce qu’il lui faut pour être sauvé : les portes du paradis, closes par le péché de nos premiers parents, ont été rouvertes par le don que le Christ fit de lui-même, don qu’il perpétue jusqu’à la fin des temps dans les sacrements, dont l’effet principal est de produire la grâce, c’est-à-dire la vie divine, en nos âmes.
C’est pourquoi saint Paul nous disait hier que ces temps que nous vivons sont les derniers, et qu’il nous dit encore aujourd’hui que nous sommes parvenus à la plénitude des temps. Cela ne signifie pas que la fin du monde soit pour après-demain, mais ces expressions nous indiquent que désormais, il n’y a plus rien à attendre de nouveau dans notre marche vers le salut, c’est-à-dire dans le cours de notre vie vers la fin de notre propre temps personnel, vers la fin du temps qui est donné à chacun d’entre nous ici-bas. C’est pourquoi cette alliance nouvelle inaugurée par le Christ est aussi désormais l’alliance éternelle : « l’alliance nouvelle et éternelle – novi et æterni testamenti », dit le prêtre au moment de consacrer le vin du calice pour le faire devenir le Précieux sang de Notre-Seigneur.
Car c’est bien dans le sang, chers amis, que fut scellée cette alliance nouvelle qui nous ouvre les portes du ciel. Si Dieu s’est fait homme, s’il a pris notre nature et notre chair, c’est pour pouvoir répandre son sang pour nous. C’est ce que nous chantons dans le Credo quand nous disons que c’est pour nous les hommes, et pour notre salut, que Jésus descendit du ciel et s’incarna, et se fit homme. C’est ce que nous rappelle saint Paul quand il dit que « Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme […] afin de nous conférer l’adoption ». Or, c’est le baptême qui nous fait fils de Dieu ; et le baptême, c’est justement plonger avec le Christ dans le mystère de Pâques. Considérons donc, chers amis, quel lien il y a entre la douceur et la tendresse des fêtes de Noël et la splendeur éblouissante des fêtes de Pâques, entre le mystère de la naissance et le mystère de la mort et de la résurrection du Christ. Écoutons quel silence enveloppe à la fois la crèche et le sépulcre de Jésus ; voyons quelle nuit recouvre Bethléem et Jérusalem, et surtout de quelles lumières ces ténèbres sont dissipées.
Et cela doit nous amener à nous demander, en ce dimanche, de quelle façon nous recevons cette lumière. Que faisons-nous des grâces qui nous ont été données ? En ces temps qui sont les derniers, nous sommes nous aussi parvenus à une forme de plénitude : nous ne sommes plus des enfants, ni des esclaves. Le propre de l’esclavage et, dans une certaine mesure, de l’enfance, c’est la servitude. Le serviteur n’est pas maître de ses actes, souvenez-vous du centurion qui vint un jour devant Jésus et dit : « j’ai des soldats sous mes ordres ; à l’un, je dis : “Va”, et il va ; à un autre : “Viens”, et il vient ; et à mon esclave : “Fais ceci”, et il le fait ». La liberté des enfants de Dieu, chers amis, n’est pas celle-là. En se faisant homme, Jésus se fait notre frère et nous rend donc, comme lui, fils et héritiers de Dieu, par adoption. C’est pourquoi nous pouvons appeler Dieu notre Père, comme Jésus nous a appris à le faire. Notre relation à Dieu se caractérise donc avant tout par l’amour et la charité, non par la crainte et la servilité.
Demandons-nous alors quel est l’état de notre relation avec Dieu. Est-ce que je viens à la messe par habitude ? Par convention sociale ? Ou bien est-ce que je viens à la messe car j’en ai besoin dans ma relation personnelle avec Dieu ? Quelle est ma pratique des sacrements ? De quelle façon est-ce que je reçois l’eucharistie ? De quelle façon, à quelle fréquence, est-ce que je me confesse ? Quelle est ma réponse d’amour aux commandements ou aux invitations du Christ ? Parce qu’il s’agit bien d’une réponse, chers amis. C’est Dieu, en effet, qui nous a aimé le premier, en nous créant et en nous sauvant, en se faisant petit enfant pour nous, et en nous aimant jusqu’au don de sa propre vie. La grâce de Noël, ce n’est pas seulement que Dieu s’est incarné une fois, mais c’est aussi que, chaque année, il vient nous visiter nous personnellement. Quand, dans chacune de nos maisons, nous faisons une crèche, non seulement nous commémorons l’Incarnation du Christ, mais encore nous lui disons à quel point nous avons besoin de lui et voulons le faire entrer chez nous. Faire une crèche chez soi, c’est faire entrer Jésus chez soi, lui qui a voulu le premier nous visiter en prenant notre chair. Recevoir sa famille et ses amis à l’occasion des fêtes que nous célébrons, c’est encore se réunir à l’invitation de Jésus. Toutes ces festivités ne sont pas des choses que nous offrons à Jésus, c’est lui, le premier, qui nous les offre.
Alors profitons de ce temps de Noël, pendant lequel nous pouvons jouir de la proximité visible du petit enfant de la crèche, pour nous demander comment nous répondons effectivement à ses invitations, et confions ces réflexions à la Sainte famille, qui sut si bien, malgré les difficultés, accueillir Jésus.
Amen.