Permettez-moi de vous souhaiter à tous une bonne et sainte fête de l’Assomption. C’est une grande joie pour moi de prêcher devant vous, dans cette belle collégiale de Pignans, pour la première fois en ce beau jour.
Les lectures que l’Église nous donne à entendre, en cette fête, ont de quoi nous surprendre. Aucune d’elles, en effet, ne nous parle de l’assomption. L’assomption, c’est le fait que la Sainte-Vierge est monté au ciel avec son corps et son âme ; contrairement à nous pour qui, à l’heure de la mort, l’âme entre dans l’éternité tandis que le corps demeure ici-bas.
Non, aucune des lectures que nous venons d’entendre ne nous raconte cet évènement. La raison en est que, bien que les chrétiens aient toujours cru à la monté au ciel de la Sainte Vierge, avec son âme et son corps, les livres saints n’en parlent pas. Nous savons, chers amis, par le récit des Actes de apôtres, qu’après la mort de Jésus, la Vierge Marie demeura près de Jérusalem, en compagnie des disciples de son Fils. Elle était là, au milieu d’eux, au jour de la Pentecôte, c’est-à-dire lorsque le Saint-Esprit descendit sur eux. Elle vécut entourée notamment de Saint Jean, auteur du quatrième évangile, ainsi que du livre de l’apocalypse, dont nous avons entendu un passage, et de Saint Luc, lui aussi auteur d’un évangile, à qui elle a confié tant de détails sur l’enfance de Jésus, comme nous venons aussi d’en lire un extrait. Mais rien n’est dit dans la Bible, sur la mort, ou sur la dormition, comme on dit en Orient, de la Sainte-Vierge.
L’Église offre plutôt aujourd’hui à notre méditation des textes qui nous guident pour envisager la place de Notre-Dame dans l’histoire de la rédemption du genre humain.
Parce que le genre humain, chers amis, en effet, a besoin de rédemption. Et c’est ce que nous rappelle Saint Paul dans sa lettre aux Corinthiens : « la mort est venue par un homme, tous les hommes meurent en Adam ». Saint Paul évoque ici les origines de l’humanité, décrites dans le livre de la Genèse, qui nous apprend qu’à l’origine, l’homme n’était pas fait pour la mort. Il était fait pour vivre éternellement et jouir de la présence de Dieu dans un paradis terrestre. Mais par la tentation du diable, il se détourna de l’ordre du monde institué par Dieu, et, par ce péché originel, fit entrer la mort et la souffrance dans le monde.
Dieu, cependant, a tant aimé les hommes qu’il envoya son fils unique : Jésus, en sacrifice pour nos péchés, afin que, continue Saint Paul, « la mort étant venue par un homme, ce soit par un homme aussi que vienne la résurrection des morts ». Par le mystère du sacrifice de Jésus sur la Croix, et par sa résurrection, « tous recevront la vie », dit Saint Paul. La vie dont il parle ici, c’est en premier lieu la vie éternelle, mais c’est aussi la grâce, qui est la vie de notre âme qui participe à la vie de Dieu.
La vie, chers amis, nous est donc donnée par le Christ, Jésus. Jésus, lui, nous est donné par Marie. C’est ce que nous chantons chaque dimanche dans le Credo quand nous disons que « pour nous les hommes, et pour notre salut, il descendit du ciel. Et il s’est incarné, par le Saint-Esprit, dans le sein de la Vierge Marie, et s’est fait homme ».
Après que l’archange Gabriel eut annoncé à Marie qu’elle allait être la mère du Seigneur, il lui apprit, que sa cousine Élisabeth, âgée et réputée stérile, était elle-aussi enceinte, de Jean, que l’on allait surnommer « le Baptiste ». La Sainte-Vierge voulut partager la joie de ces nouvelles avec sa cousine. C’est le passage de l’évangile de Saint Luc que nous venons d’entendre qui nous raconte cet épisode. Élisabeth, signifie en hébreu : « serment de Dieu », ou bien : « Dieu est fidèle ». La naissance du Baptiste, en effet, répondait aux promesses de Dieu concernant la venue du Sauveur, à savoir qu’il serait précédé d’un prophète semblable à Élie.
L’évangile nous montre ici une scène bien touchante, d’une anthropologie très profonde, pour ce qui concerne le rapport d’une femme à l’enfant qu’elle porte, mais aussi quant à la complémentarité de l’homme et de la femme. C’est Élisabeth, d’abord, qui entend la salutation de Marie ; puis c’est son enfant qui tressaille en elle. C’est alors le tressaillement de l’enfant qui fait comprendre à la mère l’accomplissement des promesses de Dieu. Comme si la mère prêtait ses oreilles à son fils – et elle lui prête tout son corps en l’y accueillant pendant les neuf premiers mois de sa vie – ; tandis que le fils, lui, partage son esprit avec sa mère. Élisabeth ressent, Jean connait, les deux admirent et partagent leur admiration.
Admirable échange ! Admirable échange de la vie et de l’esprit. Admirons aussi dans cette scène la Rédemption qui se met en place : la parole d’Ève avait semé la mort, la salutation de Marie fait germer la vie.
Comme preuve de l’inspiration divine par laquelle Élisabeth répond à cette salutation, elle emploie les mêmes mots que ceux prononcés par l’ange pour saluer Marie : « Vous êtes bénies entre toutes les femmes […] le fruit de vos entrailles est béni ». Oui, vraiment « heureux qui croit à l’accomplissement des paroles qui furent dites de la part du Seigneur » !
Ces paroles, chers amis, sont données pour que nous croyions et que nous parvenions à la vie éternelle. Mais elles sont parfois bien mystérieuses, et nous avons besoin qu’elles nous soient expliquées. C’est le cas, tout particulièrement, des récits de visions que les écrivains sacrés peuvent avoir reçues.
Saint Jean, l’évangéliste, cette fois, non pas le Baptiste dont nous venons de parler, nous offre en ce jour une telle vision, qu’il relate dans son livre de l’Apocalypse.
« Apocalypse », chers amis, ne désigne pas en premier lieu une fin des temps cataclysmique, comme nous l’entendons souvent. C’est un mot qui vient d’un verbe grec, désignant l’action par laquelle un époux soulève le voile de son épouse. L’apocalypse désigne, avant tout, la révélation de ce qui était caché ; révélations adressées à Jean, par le moyen de visions, pour qu’il nous les fasse découvrir.
La vision que l’Église nous donne à méditer en cette fête de l’Assomption, chers amis, est la vision formidable de l’Arche d’alliance, entrant dans le sanctuaire céleste, et d’une femme, drapée de lumière et couronnée d’étoiles, sur le point de mettre au monde un fils, que le diable guette pour le faire périr. Tous les Pères de l’Église ont vu dans cette femme la Vierge Marie.
Elle est préfigurée par l’arche d’alliance, tout d’abord. Rappelez-vous de l’arche de l’ancien testament. Avant la venue du Jésus, Dieu s’était choisi un peuple : le peuple juif, dans le but de perpétuer son souvenir parmi les hommes et préparer l’avènement du Christ. Dieu avait fait une alliance avec ce peuple : « ils seront mon peuple, je serai leur Dieu ». Cette alliance était exprimée par une loi donnée à Moïse : les dix commandements, pour que le peuple vive toujours en accord avec Dieu, mais aussi par des signes de Dieu de la bienveillance qu’il accordait à son peuple, telle la manne : le pain qu’il fit miraculeusement tomber du ciel pendant l’errance des juifs dans le désert à la sortie d’Égypte.
Sur les instructions de Dieu, Moïse avait fait fabriquer une arche de bois pour abriter les signes de cette alliance, c’est-à-dire les tables de pierre sur lesquelles avaient été gravés les dix commandements de la loi, ainsi qu’une urne renfermant un échantillon de la manne. Si nous pouvons dire que la Sainte-Vierge a été préfigurée par l’arche d’alliance, c’est parce que l’arche était en bois de sétim, une espèce d’acacia imputrescible, dont on se servait dans l’antiquité pour construire la coque des navires. De même, nous savons que la Sainte Vierge a été préservée de la tâche du péché originel par une faveur spéciale afin qu’il soit moins inconvenant pour elle de devenir la mère de Dieu. C’est pour cette même raison qu’elle fut préservée de la corruption du tombeau.
Le bois de l’arche était recouvert d’or, évoquant la charité qui animait Marie, et dont l’éclat rappelle toutes les vertus qu’elle a pratiquées. C’est aussi le sens du manteau de lumière dont Notre-Dame est revêtue. L’arche contenait la manne, comme Marie a porté dans son sein Jésus, qui se fait pain, pour nous, dans l’eucharistie. L’arche contenait les tables de la loi, or Jésus, né de Marie, est celui qui vint accomplir la loi en nous donnant un commandement nouveau : celui de nous aimer les-uns-les-autres, comme lui nous a aimé.
L’arche était portée par les israélites lorsqu’ils avaient à livrer bataille, ils étaient alors invincibles. Lorsqu’ils firent le tour de Jéricho en portant l’arche, les murailles réputées inexpugnables de la ville s’effondrèrent. De même, chers amis, en prenant la Sainte-Vierge pour nous accompagner dans la prière chaque jour, nous savons que nous pouvons triompher de toutes les tentations et de tous les obstacles.
L’arche était renfermée dans le Saint des saints, c’est-à-dire la partie la plus sacrée du Temple de Jérusalem. Le grand-prêtre ne pouvait y accéder qu’une fois par an, lors de la cérémonie au cours de laquelle les péchés du peuple étaient expiés. Marie, elle, nous a donné le Christ, qui, offert en sacrifice une fois pour toutes sur la Croix, rend possible l’expiation de nos péchés par ses mérites.
Marie nous est présentée dans ce texte comme criant « dans les douleurs et les tortures d’un enfantement ». Cet enfantement, c’est l’enfantement mystique de l’Église, dont Marie est la mère, et dont nous sommes les membres. Marie est notre mère, à nous chrétiens, membres de l’Église. Tout comme Marie nous donne le Christ, les membres de l’Église, c’est-à-dire chacun de nous, les baptisés, devons prendre exemple sur elle pour donner le Christ au le monde. L’amour du Fils passe par l’amour de la mère.
Comme Ève est dite être la « mère des vivants », parce qu’elle notre ancêtre commune, Marie, en tant qu’elle est la Mère du Sauveur, peut aussi à bon droit, et plus encore être appelée notre mère. Alors, Ô Marie, faites entendre à nos cœurs ce que vous avez entendu de vos oreilles, faites-nous voir en esprit ce que vous avez vu de vos yeux et contemplé. Faites-nous connaître ce que vos mains ont touché : Jésus, le Verbe de vie, qui s’est manifesté par vous, qui nous a été donné par vous ; qui nous sauve par vous.
C’est cette même dignité d’être mère de Dieu qui a accordé à la Bienheureuse Vierge Marie d’être élevée au ciel dans son âme et son corps, ce que nous fêtons aujourd’hui. Elle fut élevée près du trône céleste de son Fils Jésus, au-dessus de toute créature, y compris les anges. C’est pourquoi, dans les embûches et les persécutions que le diable dresse contre les enfants de l’Église, il nous faut nous tourner vers Marie. On représente souvent Marie, la Vierge puissante, écrasant du pied un serpent, en référence à une parole de la Genèse ainsi qu’à son Immaculée Conception. Elle est un signe que nous laisse Jésus pour nous rappeler que c’est aussi par elle qu’il accomplit sa victoire, la victoire de la vie sur la mort.
En 1864, le Bienheureux Père Cestac eut la vision du monde envahi par la puissance du diable, dont parle le livre de l’Apocalypse. Il composa alors cette prière que nous devrions redire sans cesse : « Auguste Reine des cieux et souveraine maîtresse des Anges, vous qui, avez reçu de Dieu, dès le commencement, le pouvoir et la mission d’écraser la tête de Satan, nous vous le demandons humblement, envoyez vos légions célestes, pour que sous vos ordres et par votre puissance, elles poursuivent les démons, les combattent partout, répriment leur audace et les refoulent dans l’abîme. Qui est comme Dieu ? Ô bonne et tendre Mère, vous serez toujours notre amour et notre espérance. Ô divine Mère, envoyez les Saints Anges pour nous défendre et repousser loin de nous le cruel ennemi. Saints Anges et Archanges, défendez-nous, gardez-nous ».
Notre-Dame des Anges, priez pour nous.